LE CHRISTIANISME EN IMAGE :

SYNOPSIS 3 :

Le 15e siècle

Les choses deviennent plus claires au début du 15e siècle.

A cette époque, l’art chrétien d’Occident prend un tournant radical, par rapport à tout ce qui s’est fait jusqu’ici.

Et presque simultanément, il atteint son apogée dans cette nouvelle manière.

Le phénomène est sans équivalent en Orient.

Cette révolution s’inspire de l’antique, c’est-à-dire d’un art païen anthropomorphique. Cependant, il serait excessif de le rejeter à ce seul titre, comme incompatible avec le christianisme. Ce serait oublier que l’art paléochrétien aussi était parti de l’art gréco-latin.

 

Mais cette fois, cet art se veut le plus conforme possible aux apparences naturelles.

Il ne peut donc plus remplir les fonctions qui étaient celles de l’image sacrée telle qu’on l’avait produite jusqu’ici. Celle-ci avait pour fonction d’ouvrir une fenêtre sur l’Invisible, sur un monde transfiguré, sur le « tout autre », radicalement distinct du monde des apparences, donc opposé par nature à toute représentation naturaliste. Elle avait pour fonction d’aider l’orant à entrer en relation avec l’Invisible ; plus exactement, à le laisser venir vers lui. La fonction pontificale de l’icône échappe à l’art renaissant.

Faut-il en déduire que l’une est chrétienne et que l’autre ne l’est pas ?

Que l’art issu de la Renaissance ne peut être que profane ? Pareille assertion serait excessive. La seule affirmation qu’on puisse poser, c’est que la peinture occidentale n’est généralement pas un bon support pour la prière. Mais peut-être remplit-elle une autre fonction d’Eglise.

 

Un portrait n’est pas forcément antichrétien. Les saints sont tous apparus à leurs contemporains comme des hommes comme les autres. Et le Christ lui-même avait une ombre au soleil. Si la photographie avait existé, il n’y aurait pas eu de contre-indication à détenir des photographies de Lui. Ses disciples l’ont bien vu de leurs yeux de chair… Là n’est pas le problème.

Et pourtant, sa représentation naturaliste, ainsi que celle de la plupart des saints, pose problème. Il semble qu’il y ait une grande présomption à prêter à une personne unique, et à Jésus en particulier, des traits imaginaires ou empruntés à un autre. Un grand nombre de peintres sont tombés dans ce piège. Aussi talentueux qu’ils aient été, leurs faux portraits de saints, et surtout de Jésus, ne sont jamais totalement crédibles. L’orant sent bien la falsification. Chaque personne est unique. Un grand nombre de peintres  « réalistes » ont recouru au modèle vivant. Et qui peut prétendre prêter ses traits à Dieu incarné ? Le « naturalisme » en matière de peinture religieuse, ment nécessairement.

Par contre, si la prière est l’essentiel de la vie chrétienne, celle-ci se nourrit aussi de réflexion et de mouvements du cœur. L’homélie parle au cœur et à l’intelligence, à l’image des discours du Christ et de ses paraboles. Les Evangiles ne sont pas prière, mais nous apprennent à prier et à vivre en Christ. Le chrétien peut donc être nourri par d’autres images que les seules icônes.

L’image peut toucher le cœur et l'intelligence. Le tableau comme l’homélie, peut communiquer une méditation et des émotions spirituelles. L’image devient alors un commentaire des Ecritures, qui peut être pertinent et théologiquement juste, au même titre qu’un commentaire verbal. Cette image n’est plus une aide pour laisser le « Tout autre » venir à soi. Mais elle peut nous toucher, nous aider à retrouver le désir de nous en approcher. Cet art vise la conversion intérieure.

 

Il n’est pas anodin que Fra Angelico ait été dominicain et qu’il ait appartenu à un ordre prêcheur, car il excelle à prêcher en images. Le prêche doit user de rhétorique et d’éloquence, pour convaincre et pour émouvoir.

Le peintre use d’images riches de symbolique, éblouit par l’élégance des formes et le chatoiement des couleurs… Il importe d’enthousiasmer les âmes pour leur communiquer le désir du spirituel. De leur renvoyer, comme sous forme de paraboles, une idée de Dieu à travers une image d’harmonie et de beauté lumineuse qui suscitent l’émerveillement.

Toutefois, là encore, l’artiste est sur le fil de l’épée. En soignant le reflet extérieur d’une vérité spirituelle, il peut lui-même perdre de vue qu’il ne s’agit là que d’un reflet.

 

Et c’est ce qui se produisit en Italie, pour toute la génération qui suivit. D’autant qu’en Occident, l’Eglise ne veillait pas à l’orthodoxie de ses images.

 

Si Masaccio et Angelico sont de magistraux prêcheurs et missionnaires, d’inspiration authentiquement chrétienne, Piero della Francesca, à l’œuvre encore plongée dans le numineux, ne paraît déjà plus aussi clairement greffé à un dogme précis.

Quant à la génération suivante, celle de Lippi, Mantegna, Botticelli... elle s’abandonne trop souvent à l’hédonisme et à l’esthétisme pur. Sa peinture est admirable, mais n’a plus de réel substrat spirituel. 

 

F.Lippi.     S. Botticelli
F.Lippi. S. Botticelli

Le substrat spirituel résistera plus longtemps en France, en Allemagne, dans les Flandres et aux Pays bas, mais finira aussi par s’y dissoudre dans la sensibilité individuelle.

 

Pendant ce temps, l’Orient peut sembler sagement ancré dans la tradition. Et pourtant, il est lui-même à un grand tournant. Cette première moitié du 15e siècle est aussi décisive pour l’image en Orient qu’en Occident, même si l’inflexion est moins spectaculaire.


La chute de l’Empire byzantin sous le joug ottoman en 1456 marque plus ou moins la fin de l’art byzantin au sens strict.

Celui-ci va se survivre encore dans les pays slaves et en Crète où il sera soumis très largement à l’influence vénitienne. Cette amorce d’un déclin de l’Orient chrétien est absolument contemporaine de la sécularisation de l’art chrétien d’Occident.


L’un et l’autre avaient atteint, chacun dans leur génie propre, mais presque en même temps, leur dernière apogée. Vers 1420, avaient vu à peu près simultanément le jour : sur les murs de la chapelle Brancacci, à Florence, la remarquable méditation évangélique de Masaccio ; et en Russie, les icônes de Roublev qui offraient à la vue les Cieux ouverts !

Roublev et Masaccio atteignent une forme de perfection dans l’expression de leur charisme propre.

Masaccio nous offre une incomparable méditation évangélique sur la vie chrétienne. Son Christ est peut-être le plus crédible de toute l’iconographie occidentale.

Celui de Roublev et sa Sainte Trinité offrent à notre contemplation ce qui, sur cette terre, peut sembler le plus proche de l’Ineffable.

L’Orient va se survivre à un très haut niveau, à travers l’art russe, un siècle à peu près encore. Mais jamais plus il n’atteindra pareille excellence.

 

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