LE CHRISTIANISME EN IMAGE :

SYNOPSIS 4 :

LES 16e et 17e siècles

Le 16e siècle est, en Orient comme en Occident, marqué par la décadence spirituelle des images.

Partout celle-ci se manifeste par une baisse de luminosité et un envahissement par les ombres. Le chatoiement des couleurs qui n’avait cessé de courir des fresques de Ravenne aux retables de Memling, et chez Botticelli comme à la grande époque des icônes de Novgorod, brille partout de ses derniers feux.


On ne saurait généraliser cet assombrissement et l’affadissement des couleurs à toutes les icônes du 16e siècle. Certaines conserveront encore longtemps la simplicité, la force et la vivacité chromatique des anciennes. Toutefois, l’époque marque clairement un déclin.

Le plus grand nombre des iconographes a perdu le secret des couleurs passées en couches parcimonieuses, secret de leur transparence et de leur luminosité. Ils recourent trop à la matière, ne peignent plus essentiellement d’eau et d’Esprit, comme les anciens. 

Simultanément l’icône tend à se compliquer.

Et en se compliquant, elle fait de moins en moins appel à la prière, de plus en plus à l’intellect et à la séduction esthétique. L’objectif est de moins en moins de servir la Présence, et de plus en plus didactique.

L’Eglise veille à ce que les canons soient respectés. De sorte qu’on ne saurait trouver ici la liberté laissée aux peintres occidentaux.

Mais que sont les canons sans l’Esprit ?

Les canons continuent à imposer un langage : le refus de l’illusionnisme, de la perspective et du modelé… Mais ces grandes compositions allégoriques et morales n’ont souvent plus grand chose à voir avec l’esprit du christianisme. La Gloire de Dieu se confond avec une pompe et une richesse qui en sont une trahison. Elles se complaisent trop souvent dans une esthétique décorative qui lui est totalement étrangère.

 

De manière différente se produit en Orient, un siècle seulement plus tard qu’en Italie, un glissement qui, du point de vue spirituel, n’est pas sans parenté avec la dérive renaissante. L’Orient à son tour, cherche dans l’image un moyen de séduire et d’édifier plutôt que de mettre en Présence.

 

Le 16e siècle est sombre et tourmenté en Occident. L’art chrétien connaît comme un sursaut de mauvaise conscience. Bien que comblés encore, en dépit de leur hédonisme, de la grâce qui avait été accordée à leurs pères, les maîtres de la fin du quatro cento avaient croqué la pomme et oublié Dieu en toute inconscience !

 

Les générations suivantes prennent souvent conscience des égarements esthétisants et lascifs de leurs prédécesseurs.

Les plus grands sont alors déchirés entre la conscience ontologique de leur égarement spirituel, et leur attachement passionné à la nouvelle forme d’art qui est la seule qu’ils peuvent désormais concevoir.

Mais celle-ci ne saurait exprimer que l’homme séparé de Dieu.

L’artiste, quand il conserve une foi sincère, se sent alors maudit.

Grünewald: Triptyque d'Isenheim: Crucifixion
Grünewald: Triptyque d'Isenheim: Crucifixion
Grünewald: Crucifixion (détail)
Grünewald: Crucifixion (détail)

D’autres, comme Jérôme Bosch, en prétendant nous mettre en garde contre la perdition, suscitent plus de fascination que de répulsion, pour la beauté du diable qu’ils mettent en scène.

Michel Ange : Jugement dernier (détail)
Michel Ange : Jugement dernier (détail)

L’obsession du péché et de la damnation suscitent des formes d’art d’autant plus fascinantes qu’elles sont ambiguës. 

Des peintres allemands, comme Grünewald, renouvellent notre vision de la Passion par leur art visionnaire.

La Passion du Christ prend une importance particulièrement tragique en ces temps de remise en cause.

G.Bosch
G.Bosch

 

 

 

L’œuvre incomparablement puissante et moderne de Michel Ange n’est pas moins ambiguë.


Elle conserve une incomparable portée ontologique, comme expression tragique et bouleversante du vécu existentiel de l’homme déchu. 


Un siècle après le passage de l’image traditionnelle à la révolution de la Renaissance, l’art occidental mute donc encore, passant de l’appel à la conversion intérieure à l’expression tragique de la déchéance humaine. Ces images ne sont en soi pas moins chrétiennes que celles qui les ont précédées. Ce qui ne veut pas dire qu’elles aient vraiment leur place dans les lieux de prière. L’église devrait rester le lieu privilégié de rencontre avec Dieu. N’y est donc à sa place que ce qui sert ce rapprochement. L’utilité du spectacle des tourments de la damnation y est critiquable. Surtout lorsqu’ils ne semblent plus vraiment équilibrés par l’espérance. La Sixtine est une merveille, mais ce n’est pas une chapelle. On ne saurait être aidé à prier par un tel écrasant spectacle d’apocalypse.

 

En fait, le vers était dans le fruit depuis longtemps. Il n’aurait jamais fallu prendre l’image à la légère. L’image est chose conséquente, tout autant que le Verbe. La liberté laissée à des artistes qui n’étaient plus hommes d’Eglise, ni même parfois de prière, les exposait à la séduction de l’esthétique et de l’expression personnelle, c’est-à-dire d’un art qui aurait tôt fait de se vider, si ce n’est toujours de sa substance spirituelle, en tout cas de sa rigueur dogmatique.


Raphaël : La Vierge et l'Enfant, avec Jean Baptiste.
Raphaël : La Vierge et l'Enfant, avec Jean Baptiste.

Pour être plus aimables et souvent plus sereines, les admirables chambres de Raphaël n’en sont pas plus d’Eglise. Car cette sérénité idéale ne doit plus grand chose aux Evangiles.

Raphaël va pourtant devenir la référence de toute l’imagerie pieuse ultérieure, et cela jusqu’au 20e siècle !

Entre les admirables compositions de Raphaël et les plus plates bondieuseries des églises du 19e siècle, il y a souvent un abîme de qualité artistique, mais guère moins de contenu spirituel.

Plus rien d’ontologique ici. Mais des scènes plus ou moins narratives, théâtrales et esthétisantes, agréables et bienséantes, plus ou moins maniérées, où le religieux, en vacance de sens, se réduit à la beauté extérieure.

Désormais l’art chrétien en Occident, n’y est plus un phénomène d’Eglise, mais l’expression d’une ferveur seulement individuelle.

Il y aura encore de grandes œuvres d’inspiration chrétienne, parce que l’Esprit souffle où Il veut, et qu’il y aura encore de grands peintres chrétiens. Mais ce seront des cas isolés.

Poussin : La dernière Cène
Poussin : La dernière Cène

Pour l’essentiel, la peinture religieuse du 17e siècle, se confond avec la peinture d’Histoire. Les fondements ontologiques de l’image sont oubliés et le modèle antique prédomine. Cette référence païenne omniprésente n’entraîne plus aucun distinguo entre l’image chrétienne, l’image mythologique et l’image de cour. Ainsi en va-t-il de peintres de grand talent, comme Nicolas Poussin, tout comme d’autres qui en sont dépourvus. La dimension chrétienne est à peu près aussi inexistante chez les grands que chez les petits.


En Orient, sans se généraliser, la décadence de l’art chrétien se confirme.

Aux tendances allégoriques, anecdotiques et décoratives, déjà sensibles au 16e siècle, s’ajoute une contamination par l’art occidental qui aboutit à des monstruosités.

Si l’Eglise contrôle le respect des canons iconographiques, ses hauts vicaires, issus de la haute société, ont tendance à regarder vers l’Occident, et à oublier les fondements ontologiques de l’icône. Eux-mêmes encouragent désormais la dérive vers l’illusionnisme, en dépit de sa contradiction avec l’art sacré. L’introduction du naturalisme, simultanée au maintien des canons, entraîne à la fois la mort de l’icône et de l’œuvre d’art.


Heureusement, la Russie est grande, et la Tradition se maintient dans les campagnes et à l’ombre des monastères, là où se perpétue la prière. Les âmes simples et pures n’analysent probablement que rarement ce qui fonde leur fidélité aux anciens maîtres. Mais ils savent d’expérience, que n’a de valeur en matière d’art sacré que ce qui est reçu dans la prière et qui la suscite. Le 17e siècle voit donc apparaître encore de très belles icônes, peut-être un peu moins simples, peut-être un peu moins pures, souvent un peu trop décoratives, mais encore puissantes, inspirées, vivantes et lumineuses.

Si la grande forêt russe sauve l’art chrétien d’Orient, la ferveur populaire sauve aussi en partie l’art chrétien d’Occident. C’est l’âge entre autres des calvaires bretons.

 

La liberté individuelle sauve aussi en partie l’art chrétien savant d’Occident.

Si l’heure est aux lumières de cour, et aux ténèbres pour le reste, dans ces ténèbres vont briller les lueurs allumées par quelques peintres de génie qui entendent encore toucher les âmes et exprimer de façon picturale leur ferveur spirituelle.

 

 

 

Le Greco transcende ainsi toute contamination par la mode, pour n’être que lui-même face au Transcendant. S’appropriant le maniérisme, il s’en fait un puissant levier mystique. 

 

 

Le Caravage : La conversion de St Paul
Le Caravage : La conversion de St Paul
Le Greco : l'Apocalypse
Le Greco : l'Apocalypse

 

 

Aux antipodes, Caravage dépouille avec génie ses sujets religieux de tout agrément, et en accuse les aspects les plus triviaux. Mais ce grand ménage n’était-il pas nécessaire, après tant de falbalas ?


 


La Tour : Nativité
La Tour : Nativité
Zurbaran : Les pèlerins d'Emmaüs
Zurbaran : Les pèlerins d'Emmaüs

La puissance inspirée de certaines de leurs toiles dépassent parfois en profondeur les meilleures icônes contemporaines.

 

Elles nous entraînent à méditer sur l’essentiel selon l’anthropologie chrétienne, et parfois sont si justes, à l’instar de l’icône, qu’elles peuvent même inviter à l’oraison.

 

 

 

Quelques peintres des décennies qui suivent, nous entraînent dans d’admirables méditations : comme Zurbaran en Espagne, 

La Tour en France, 

Rembrandt aux Pays Bas.

 

 

Rembrandt : Le retour du fils prodigue
Rembrandt : Le retour du fils prodigue

Ces derniers feux s’éteignent à la mort de Rembrandt, en 1669.

Ils ne commenceront à se rallumer que deux siècles plus tard, avec Van Gogh.

 

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Synopsis 5: du 18e au 20e s. - Un atelier d'icône à Paris : l'atelier Sainte Radegonde!