LE CHRISTIANISME EN IMAGE :

SYNOPSIS 5 :

Du 18e au 20e siècle

Le 18e siècle, dit «  des Lumières », en ce qu’il voit s’épanouir la pensée rationnelle et scientifique, est celui des ténèbres sur le plan spirituel.

Sans la foi populaire, l’art chrétien y aurait totalement disparu.

 

En Occident, les peintres savants ne peignent presque plus en matière « religieuse » que des apparitions encadrées de nuées. Le spirituel se confond avec le miraculeux, le spectaculaire et l’extraordinaire, autant dire l’improbable. Il n’est plus le fondement du quotidien.

Tout cela est froid, artificiel et convenu, œuvre de commande à laquelle on sent que l’artiste se soumet en artisan, sans y adhérer. Avec plus ou moins de talent, il fait œuvre de peintre en s’efforçant, sur ces sujets pieux qui sont, on le sent bien, rarement ses préférés, de faire œuvre de virtuosité picturale dans la composition plus ou moins harmonieuse d’envols d’anges et de drapés, aux teintes délicates. Force est reconnaître, en dépit d’une totale inanité spirituelle, que cela est parfois d’un goût exquis.

Goût délicat qui tranche à la défaveur de ses imitations orientales. Abomination de la désolation, que ces icônes « figées » - cette fois on peut le dire - aux couleurs criardes, lourdes et plâtreuses, qui prétendent se mettre à la mode de l’Occident. Les Saintes Faces encore dignes de ce nom, apparaissent chétives et consternées de la situation. Les Vierges sont de lourdes matrones, sur lesquelles pèse toute la matérialité du monde.

 

Heureusement, il est encore des exceptions confirmant la règle. Des icônes sur lesquelles souffle toujours l’Esprit.

Dépouillées et austères, allant au seul essentiel dans une grande économie de moyens, elles proviennent souvent du nord de la Russie.

 

 

Mais il en est aussi de plus aimables et de plus fleuries, provenant du sud et nourries d’art populaire :

icônes ukrainiennes, peintures murales du Maramures, icônes coptes aussi.

 


 

La première moitié du 19e siècle s’inscrit partout dans la continuité affligeante du siècle précédant. Partout triomphe l’académisme. Et même en Occident où des peintres de talent continuent à se frotter aux sujets religieux, ceux-ci sont toujours traités sans la moindre dimension spirituelle.

 

Le génie de Delacroix parvient à réintroduire la vie dans les sujets religieux, mais une vie purement extérieure : puissance athlétique de la lutte entre Jacob et l’ange, paroxysme de la souffrance humaine dans la Piéta. Au moins y a-t-il ici du mouvement et du talent. Mais il n’y a que ça.

 

A la même époque, l’état de l’icône est globalement plus désolant encore. Non seulement dénué de vie spirituelle, mais même de vie tout court ; le plus souvent lourde, terreuse, terriblement rigide et figée. 

Russie du Nord, 19e
Russie du Nord, 19e

Les exceptions

frappent :

comme certaines

icônes populaires 

encore touchées

par la grâce.

Ces exceptions

proviennent des

contrées les plus

lointaines :

de Russie du Nord...

ou d'Ethiopie.

Ethiopie, 19e
Ethiopie, 19e

 

La réaction impressionniste est d’essence profane. Pourtant rien n’aurait été ce qu’il a été par la suite, sans ce mouvement. Sous des dehors scientistes, elle rendait à la peinture occidentale : la spontanéité, la couleur et la vie.

 

Quand il est question de vie et d’essentiel, on n’est jamais loin de l’ontologique. L’impressionnisme allait rendre son honneur à la peinture, en la rendant à des préoccupations essentielles. 

 

Gaughin: Le Christ de Pont Aven
Gaughin: Le Christ de Pont Aven

 

Nous leur devons les deux grands maîtres catholiques romains de la fin du 19e et du début du 20e siècle : Maurice Denis et Georges Rouault.

 

Maurice Denis est un maître en matière de peinture du sentiment religieux.

A défaut de jeter un pont vers le sacré, il témoigne de ce que peut puiser celui qui l’a trouvé. Et ce témoignage, en des temps de peu de foi, n’est pas vain.

Sans ce mouvement, Van Gogh, fils de pasteur, ne serait jamais reparti de là où Rembrandt, deux siècles plus tôt, avait laissé la peinture, dans sa quête de l’essentiel. Van Gogh rend la peinture à la quête du sens, au décryptage de la nature comme Livre Sacré.

 

La référence de Gaughin et de l’école de Pont Aven au Christianisme est certes peu orthodoxe. Mais mieux vaut peut-être commencer par une hérésie qu’être mort. Le fait est que ces hérésies vont réensemencer l’image chrétienne d’Occident.

 

M.Denis : Nolle me tangere
M.Denis : Nolle me tangere

 

Georges Rouault va plus loin.

 

Il rend simultanément le christianisme d’Occident à son essentiel, à la tradition romano-byzantine et à la modernité.

 

Il bouscule picturalement le christianisme historique et conventionnel, ainsi qu’avec lui, les conventions sociales et le goût bourgeois. Comme Caravage en son temps, Rouault fait le ménage et rend l’Evangile à ses absolus, chassant la bonne conscience des nantis. Rouault se veut évangéliquement fréquenter les gens de mauvaises vie, les clowns et les putains.

 

C’est cette détermination à se mettre en danger, qui lui rend la grâce de plier l’art moderne, qui ne semble pas fait du tout pour ça, à se confronter de nouveau à la Sainte Face. L’art de Rouault renoue avec la contemplation.


En Orient, l’icône continue à tourner en rond et à s’étioler.

Des intellectuels et des artistes, au fait de l’art occidental, renouent avec la tradition de l’icône entretenue par les monastères, et la font sortir de l’oubli. Elle cesse d’être méprisée, du moins dans les milieux éclairés. Elle entre au musée, à défaut de pouvoir encore entrer à l’église, où souvent le peuple ne la comprend plus, déformé par les peintures sulpiciennes qui lui sont imposées depuis deux siècles.

G.Krug.   L.Ouspensky.   E.Kovalevsky
G.Krug. L.Ouspensky. E.Kovalevsky

C’est alors que survient la Révolution russe.

L’élite intellectuelle est condamnée à l’exil.

Trois artistes d’origine russe : Grégoire Krug, Léonide Ouspensky et Eugraph Kovalevski sont contraints d’émigrer à Paris. Ils vont contribuer au renouveau de l’icône.

Chacun d’eux allie, à sa manière, rigueur théologique et liberté d’expression.

 

Leur œuvre est admirable de justesse théologique, d’ancrage dans la tradition et d’ouverture à la modernité. La providence semble avoir voulu que ce soit à Paris, capitale incontestée de la peinture depuis les Impressionnistes, que renaisse aussi l’art sacré ; renaissance amorcée par Rouault, mais incombant à des russes immigrés de foi orthodoxe, plus solidement armés par la doctrine. Leurs coups d’essai furent des coups de maître. Nous leur devons des œuvres puissantes, comme l’Orient-même n’en avait plus connu depuis plusieurs siècles.

Ils ont fait école, et ont été suivis par de nombreux iconographes occidentaux, en France et un peu partout en Occident, y compris dans le nouveau Monde, sans que personne soit parvenu à atteindre des résultats comparables.

 

L’Histoire de l’art du 20e siècle reste à faire. Elle est jusqu’à aujourd’hui entièrement confisquée par des idéologues farouchement iconoclastes, en matière de figuration quelle qu’elle soit, à moins qu’elle ne vise à la dérision.

 

Il n’en sera pas toujours ainsi. Déjà certains figuratifs commencent à être reconnus comme des artistes marquants. Mais on est loin encore de reconnaître, dans l’Histoire de l’art contemporaine, la renaissance d’un art chrétien de premier plan !

L’art roman et celui de Roublev sont reconnus sans difficulté, parce que personne n’est gêné par la foi dont ils témoignent dans le passé. De là à accepter que la foi chrétienne ait pu inspirer de nouveaux chefs d’œuvres au 20e siècle, sans anachronisme ! 

 

Lorsque l’URSS s’effondra, on put enfin découvrir l’existence d’une importante école iconographique contemporaine en Russie. Bien qu’elle soit très inégale, certains y sont dotés d’une maîtrise technique inégalée. Mais personne ne semble s’y être affranchi d’un certain académisme, et aucune personnalité ne s’en dégage jusqu’ici, qui puisse égaler l’école de Paris issue de l’immigration. Sans doute le poids du passé est-il encore trop lourd.

 

Sans chercher à brosser une Histoire, par rapport à laquelle nous manquons de recul, celle-ci nous apparaîtrait tronquée si nous n’y évoquions pas l’abstraction.

L’abstraction ne saurait servir l’art sacré dans sa fonction première, car elle ne saurait servir la rencontre personnelle. L’abstraction crée une atmosphère, suscite un état d’âme.


Celle de Manessier peut être envisagée, dans la continuité de Maurice Denis, comme celle d’un poète habile à rendre l’atmosphère des mystères chrétiens, dans la sensibilité de l’Eglise romaine. L’œuvre de Manessier est exemplaire en la matière. Reste à savoir si elle est aussi abstraite qu’on se plaît à le dire. Dès lors qu’il saute aux yeux qu’elle renvoie à un objet certes très stylisé, mais aisément identifiable : la Croix, la Couronne d’épines, la Sainte Face…

 

L’art chrétien est très minoritaire dans l’ensemble de l’art moderne.

On peut noter cependant qu’après une décadence plusieurs fois séculaire, le 20e siècle compte de nouveau un certain nombre d’œuvres maîtresses.    

 

18/03/2011